Marie-Paule Kieny, présidente du Conseil de Fondation du Medicines Patent Pool, présente l’article intitulé « Améliorer l’accès aux médicaments et faciliter l’innovation : le modèle du Medicines Patent Pool », corédigé par Philippe Douste-Blazy, Charles Gore, Lelio Marmora et elle-même, et publié dans la revue Medium. Cet article traite de l’impact du Medicines Patent Pool et de la manière dont son modèle peut être adapté à la lutte contre d’autres maladies.


Depuis près de dix ans, la Fondation Medicines Patent Pool (MPP) œuvre pour améliorer l’accès aux médicaments génériques de qualité garantie contre le VIH dans les pays à revenu faible et intermédiaire. Philippe Douste-Blazy, Charles Gore, Lelio Marmora et Marie-Paule Kieny analysent l’impact de la Fondation et la manière dont son modèle peut être adapté à la lutte contre d’autres maladies.

Lors de la Soixante et Unième Assemblée mondiale de la Santé, tenue en 2008, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a appelé à « examiner la possibilité de créer des communautés de brevets volontaires […] pour le développement de produits sanitaires et de dispositifs médicaux innovants et l’accès à ces produits et dispositifs »[1]. À l’époque, les communautés de brevets dans le domaine de la santé publique n’existaient pas. Les nouveaux traitements brevetés, sûrs et efficaces étaient pour la plupart hors de portée des pays à revenu faible et intermédiaire. Bien que le concept des communautés de brevets ait été abordé dans le passé par les États membres de l’OMS, il n’était pas certain que ce modèle permette, dans les faits, d’accéder plus rapidement aux traitements.

En 2010, Unitaid a relevé le défi en créant et en investissant dans le MPP, la toute première communauté de brevets dans le domaine de la santé publique. Unitaid était l’organisation toute désignée pour expérimenter la création de ce mécanisme innovant qu’était une communauté de brevets. S’appuyant sur des méthodes de financement novatrices (la plupart de ses ressources provenant de taxes sur les billets d’avion), Unitaid a commencé à jouer un rôle central en levant des obstacles à la commercialisation de produits thérapeutiques contre le VIH/sida, le paludisme et la tuberculose.

A l’époque, le défi du VIH en Afrique subsaharienne était colossal. La plupart des pays de cette région ne pouvaient accéder qu’à des traitements antirétroviraux génériques de première génération, à base de stavudine, au lieu du ténofovir (TDF), plus efficace et plus sûr. La stavudine provoque toute une série d’effets secondaires et, en 2010, l’OMS a recommandé, dans ses directives sur la thérapie antirétrovirale, que les pays réduisent progressivement son utilisation compte tenu de sa toxicité largement reconnue[2].

Toutefois, le recours aux traitements nouveaux ou améliorés mettait du temps à se généraliser dans les pays à revenu faible et intermédiaire, principalement pour des raisons de coût. Il a fallu attendre plus de 10 ans après l’approbation de l’inventeur pour que le TDF soit largement accessible dans les pays en développement. Et pour ceux qui développaient une résistance au traitement de première intention, les traitements de deuxième intention étaient souvent hors de portée.

L’objectif du MPP a été de changer cela. D’abord concentrée sur le VIH (puis dans un deuxième temps sur l’hépatite C et la tuberculose), la Fondation a commencé à négocier avec des détenteurs de brevets des licences volontaires axées sur la santé publique.

Aujourd’hui, après huit ans d’action, le MPP a réussi à réduire considérablement le délai d’accès aux traitements. Dans le cas des nouveaux traitements contre le VIH, tel que le dolutégravir (DTG), ce délai a été divisé par plus de deux. De nouvelles licences ont également facilité la mise au point de nouvelles combinaisons à dose fixe, qui sont plus adaptées dans les pays où les ressources sont limitées et pour un usage pédiatrique. Le traitement de première intention à base de ténofovir/lamivudine/DTG recommandé par l’OMS a été développé par les bénéficiaires de licences du MPP, grâce à des licences concédées par ViiV Healthcare, et peut aujourd’hui être proposé au prix de 75 USD par patient et par an dans plus de 100 pays. Dans l’ensemble, entre janvier 2012 et décembre 2017, le MPP a permis de procurer un traitement à 17 millions de patients-années par l’intermédiaire de ses partenaires fabricants de génériques, en leur permettant d’augmenter leur production.

La remarquable intensification des traitements antirétroviraux a été en partie rendue possible par la réduction des prix obtenue grâce au MPP. L’action concertée de nombreux partenaires, parmi lesquels Unitaid, l’OMS, PEPFAR et beaucoup d’autres, a permis de voir le nombre de décès liés au sida passer de 1,5 million en 2010 à moins d’un million en 2017[3], avec une forte baisse enregistrée dans plusieurs des pays les plus touchés par la maladie.

En 2016, l’OMS a recommandé l’expansion du mandat du MPP à l’ensemble des maladies et à tous les médicaments essentiels brevetés figurant sur la Liste modèle des médicaments essentiels (LME) de l’OMS. Suite à une étude de faisabilité[4], le mandat du MPP a été élargi, avec une priorité accordée dans un premier temps aux petites molécules figurant actuellement sur la LME et celles fortement susceptibles d’y être intégrées. Si l’élargissement du modèle ne se fera pas sans difficulté et sans que les questions déjà soulevées par le passé refassent surface, le potentiel d’impact pour la santé publique est considérable.

Comme l’a montré la publication de l’édition 2018 de l’Access to Medicine Index[5], de nombreuses entreprises intègrent aujourd’hui des stratégies d’accès au lancement de leurs nouveaux produits. Compte tenu de notre expérience directe, nous sommes convaincus que des partenariats étroits avec les industries novatrices et génériques permettront de créer des scénarios avantageux pour tous, pour que toute personne puisse accéder au traitement dont elle a besoin, où qu’elle vive. Il y a un peu moins de dix ans, le modèle du MPP était un concept nouveau, dont on ne savait pas s’il fonctionnerait. Aujourd’hui, pour que les médicaments essentiels à la santé publique soient accessibles dans les pays à revenu faible et intermédiaire, nous espérons qu’il deviendra un modèle courant.

Auteurs :

1. Philippe Douste-Blazy, président fondateur, Unitaid

2. Charles Gore, directeur exécutif du Medicines Patent Pool

3. Lelio Marmora, directeur exécutif, Unitaid

4. Dr Marie-Paule Kieny, présidente, Conseil de Fondation du Medicines Patent Pool

[1] Stratégie mondiale et plan d’action pour la santé publique, l’innovation et la propriété intellectuelle — Organisation mondiale de la Santé, 2008 (en anglais)

[2] Phasing Out Stavudine — progress and challenges — Organisation mondiale de la Santé, 2010

[3] Fiche d’information — Dernières statistiques sur l’état de l’épidémie de sida — ONUSIDA

[4] Expansion potentielle du mandat du MPP aux médicaments essentiels brevetés : Etude de faisabilité sur les besoins et impact possible en matière de santé publique (en anglais) — Medicines Patent Pool, 2018

[5] Access to Medicine Index — Fondation Access to Medicine, 2018