« Trouver les millions de personnes manquantes » et leur permettre d’avoir accès à un traitement reste un objectif prioritaire au niveau mondial. C’est une condition indispensable pour un avenir sans hépatite. Pourtant, selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), sur les 325 millions de personnes[1] qui vivent avec une hépatite B ou C dans le monde, un trop grand nombre ont encore un accès limité aux tests de dépistage et aux traitements, et l’hépatite reste la cause de plus d’un million de décès chaque année.

J’ai été diagnostiqué positif au virus de l’hépatite C (VHC) en 1995, puis j’ai été atteint d’une cirrhose du foie en 1998. À cette époque, le traitement était long et douloureux ; les patients avaient peu accès aux informations et ne bénéficiaient d’aucun soutien. Je fais partie des chanceux qui ont peu guérir complètement du VHC. Pour répondre aux préoccupations des autres malades, j’ai créé The Hepatitis C Trust, au Royaume-Uni, puis je suis ensuite devenu président de la World Hepatitis Alliance, créée en 2007, où j’ai travaillé pendant dix ans avant de rejoindre le Medicines Patent Pool (MPP). Le travail de la World Hepatitis Alliance a changé le cours de l’histoire et fait connaître l’hépatite. Nous avons travaillé avec des groupes de patients, des gouvernements et des acteurs de la santé mondiale, organisé des rencontres et donné des conseils sur des politiques ; en 2016, tous les gouvernements du monde s’étaient engagés à éradiquer l’hépatite virale à l’horizon 2030. Aujourd’hui, nous ne sommes plus qu’à dix ans de cet objectif mondial.

L’OMS nous a rejoints et, en 2014, elle a créé le Programme mondial de lutte contre l’hépatite, qui est intégré au Groupe VIH/sida, tuberculose, paludisme et maladies tropicales négligées. Cette étape importante coïncide avec la mise sur le marché des premiers antiviraux à action directe pour le traitement du VHC et la prise de conscience qu’il y avait beaucoup de choses à apprendre de la lutte contre le VIH. L’efficacité des tests et des traitements simplifiés et le recours à des stratégies éprouvées, telles que les licences volontaires, pour réduire le coût des traitements faisaient partie des enseignements de la lutte contre le VIH dont il fallait absolument tirer parti. L’OMS a entrepris l’élaboration de lignes directrices pour le traitement de l’hépatite et a commencé à travailler directement avec les pays et différentes parties prenantes en vue de la création de programmes nationaux, qui sont aujourd’hui au nombre de 80. Comme l’a expliqué Philippa Easterbrook, du Programme mondial de lutte contre l’hépatite de l’OMS : « Contrairement à ce qui existe pour le VIH ou la tuberculose, il n’y a pas de bailleurs de fonds pour l’hépatite. Il est donc essentiel de travailler avec les pays pour garantir un accès efficace et effectif à un traitement abordable » (voir l’intégralité de l’entretien avec Philippa Easterbrook).

Unitaid aussi a commencé à s’intéresser à l’hépatite C. Grâce aux 50 millions USD d’investissements débloqués, le travail d’Unitaid et de ses partenaires, parmi lesquels Médecins Sans Frontières (MSF), Foundation for Innovative New Diagnostics (FIND) et Coalition Plus, a démontré qu’il était possible de dépister et de traiter le VHC dans des régions décentralisées où les ressources sont limitées. Le protocole de dépistage a ensuite été simplifié, et les activités de plaidoyer dans le cadre des programmes nationaux contre l’hépatite ont été renforcées (voir le témoignage de Philippe Duneton, directeur exécutif d’Unitaid par intérim).

Il y a cinq ans à peine, le coût d’un traitement contre le VHC était encore prohibitif. En l’absence d’une perspective de concurrence générique et au vu du prix encore élevé pour un traitement anti-VHC de trois mois, le financement des programmes de lutte contre l’hépatite dans tous les pays, en particulier dans les pays à revenus faible et intermédiaire, était très compliqué. C’est là que notre organisation, le MPP, est intervenue. Le MPP a élargi son mandat à l’hépatite C en 2015. Gilead nous avait déjà concédé une licence sur son médicament anti-VHC, le sofosbuvir (SOF). Un peu plus tard la même année, le MPP a signé un accord de licence avec Bristol-Myers Squibb portant sur le daclatasvir (DAC), un antiviral à action directe, et ses combinaisons (par exemple, le SOF/DAC). Cet accord autorise la fabrication de versions génériques de ces traitements et leur approvisionnement dans au moins 112 pays qui, au total, représentent 65,4 % des personnes vivant avec le VHC dans des pays à revenus faible et intermédiaire. Mylan a été l’un des premiers fabricants de génériques à obtenir la préqualification pour son produit, et il l’a mise au point en un temps record. « La procédure de préqualification de Mylan a été l’une des plus rapides, toutes maladies et tous traitements confondus, puisqu’il s’est écoulé moins de quatre ans entre l’approbation du médicament princeps et la fabrication d’un générique de qualité garantie », a déclaré Anil Soni, directeur du département Maladies infectieuses mondiales chez Mylan (voir le témoignage de Mylan en intégralité).

Aujourd’hui, dans la plupart des pays, le prix d’un traitement à base de SOF/DAC est inférieur à 100 USD et, depuis 2016, plus de 900 000 cures de DAC seul ont été distribuées dans 28 pays grâce aux sous-licences du MPP. D’autres pays devraient en bénéficier prochainement. Ces dernières semaines, des résultats obtenus dans le cadre d’essais cliniques de petite échelle menés en Iran ont démontré que ce traitement contre l’hépatite C aurait une efficacité contre le SARS-CoV-2. Bien que ces données soient très encourageantes, il faut attendre que des essais cliniques de plus grande échelle confirment cette efficacité et envisager une distribution potentielle de SOF/DAC qui ne laisse personne de côté.

Fin 2018, le MPP a aussi signé un accord de licence avec AbbVie sur le glécaprévir/pibrentasvir (G/P). Les fabricants de génériques de qualité garantie qui bénéficient d’une sous-licence du MPP peuvent ainsi développer et vendre le G/P dans 96 pays à revenus faible et intermédiaire. Ce traitement pangénotypique permet de réduire la durée du traitement à huit semaines et évite de devoir recourir à des tests de détermination du génotype coûteux. « Je pense que, chez les patients souffrant de troubles rénaux, le bénéfice d’un traitement à base de G/P est considérable, de même que pour les enfants de moins de 12 ans », a déclaré Philippa Easterbrook. En décembre 2019, Mylan a été le premier fabricant de génériques à demander une sous-licence, et nous espérons que d’autres suivront son exemple. Dans cette optique, le MPP lancera un nouvel appel à manifestation d’intérêt et, comme toujours, les détails seront disponibles sur notre site web. Parmi nos licences portant sur des traitements contre l’hépatite C, nous comptons aussi celle sur le ravidasvir de Pharco Pharmaceuticals. Le ravidasvir est un antiviral à action directe expérimental ayant une efficacité potentielle sur les six génotypes de l’hépatite C.

L’hépatite B (VHB) reste un problème majeur au niveau mondial, puisqu’il représente près des trois quarts de la charge de morbidité liée aux hépatites. Contrairement à l’hépatite C, il existe contre le VHB un vaccin bon marché, sûr et efficace. En outre, on trouve sur le marché un traitement abordable qui peut se prendre à vie et permet la suppression de la charge virale. Pourtant, trop de personnes, en particulier dans les pays à revenus faible et intermédiaire, meurent encore de cette maladie chronique. Le MPP détient une licence de Gilead Sciences pour le fumarate de ténofovir disoproxil (TDF) et le ténofovir alafénamide (TAF). Ces traitements recommandés par l’OMS bénéficient non seulement aux personnes vivant avec le VIH, mais aussi à celles qui vivent avec une hépatite B chronique. Malgré les progrès accomplis et le travail considérable de tous ceux qui œuvrent dans ce domaine, les écarts de couverture sont toujours importants et il reste encore beaucoup à faire pour atteindre les objectifs mondiaux en matière de lutte contre l’hépatite d’ici à 2030. J’espère que d’autres bailleurs de fonds et partenaires nous rejoindrons pour faire front contre cette maladie.

Cette Journée mondiale contre l’hépatite 2020 est marquée par l’incertitude liée à l’épidémie de COVID-19. Dans la Déclaration du Millénaire sur les Objectifs de développement durable, le monde s’est engagé non seulement à ne laisser personne de sur le bord du chemin, mais aussi à aider en priorité ceux qui accusent le plus de retard. Les personnes qui vivent avec une hépatite virale ont trop longtemps été laissées de côté, d’une part en raison d’une négligence de santé publique inexplicable au début de ce siècle et, d’autre part, parce qu’un grand nombre d’entre elles est issu de communautés vulnérables qui souffrent de stigmatisation et de discrimination. La Journée mondiale contre l’hépatite fête ses dix ans cette année. Depuis sa création, nous avons fait des progrès considérables et appris beaucoup de choses, parmi lesquelles l’importance de disposer de traitements simples, extrêmement abordable et de qualité, d’approches de dépistage et de traitement décentralisées et celle d’intégrer les services spécialisés dans l’hépatite à d’autres programmes de santé. L’épidémie de COVID-19 ne doit pas nous faire oublier tout cela. Nous devons continuer à nous battre pour ne laisser personne de côté et aider ceux qui sont le plus en retard. Le MPP aussi fête ses dix ans cette année, et nous nous engageons à poursuivre notre action pour rendre les traitements contre l’hépatite encore plus disponibles, plus accessibles et plus abordables pour tous ceux qui en ont besoin, où qu’ils soient.

[1] Hépatites, Organisation mondiale de la Santé


Découvrez le travail du MPP dans l’accès aux traitements et médicaments essentiels contre l’hépatite virale.