Lorsque nous avons commencé à aborder la question de l’éradication de l’hépatite virale, en prenant appui sur les travaux de modélisation qui montraient qu’elle était possible, 2030 nous paraissait encore loin. Nous avions l’impression que le temps jouait en notre faveur. Aujourd’hui, l’horizon 2030 semble très proche. C’est d’autant plus vrai que, à quelques exceptions près, les pays n’ont pas réussi à tenir le rythme. Chaque année, nous dénombrons encore trois millions de nouveaux cas et plus d’un million de décès.

Ce n’est rien de moins qu’une tragédie, car nous avons les outils nécessaires à notre disposition. En effet, grâce aux licences du Medicines Patent Pool (MPP), des médicaments sont disponibles pour vivre avec l’hépatite B et pour guérir de l’hépatite C. Et ils sont si peu coûteux qu’ils ne sont pas seulement rentables, ils permettent également aux systèmes de santé de faire des économies. Il existe un vaccin contre l’hépatite B tellement abordable que son prix est 50 fois inférieur à celui du vaccin contre la COVID-19, pour une efficacité de plus de 90 %[1]. Il existe également un traitement contre l’hépatite D, le premier de son genre ; les outils sont donc bien là, mais nous ne les utilisons pas.

Impact de l’action du MPP sur le prix du daclatasvir

Au mois de mai, les 194 États membres de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) ont adopté une nouvelle stratégie mondiale contre l’hépatite virale, qui sera appliquée jusqu’en 2030. Même si certains passages ont suscité des débats, les pays se sont tous engagés, au moins en théorie, à mettre en œuvre cette feuille de route vers l’éradication. Je souhaite mettre en avant trois des « principales réorientations stratégiques et opérationnelles nécessaires pour éliminer l’hépatite B et C comme menace pour la santé publique d’ici à 2030 » contenues dans la stratégie.

La première est de sensibiliser davantage l’opinion et les responsables politiques à l’importance de la prévention, du dépistage et du traitement de l’hépatite B et C. Lorsque nous avons décidé, en tant que communauté, de créer la Journée mondiale contre l’hépatite en 2007, soit trois ans avant de convaincre l’OMS de la rendre officielle, c’était dans ce but précis. Cependant, la Journée mondiale contre l’hépatite n’a jamais eu d’autre but que d’être une date pivot. Or la sensibilisation du public et des figures politiques ne doit pas se résumer à une journée d’action par an. C’est une tâche qui requiert des efforts constants et quotidiens. Et nous, membres de la communauté, devons faire plus. Nous devons renforcer notre action, mieux nous faire entendre et mener des actions de plaidoyer plus percutantes. Si nous ne le faisons pas, pouvons-nous attendre des autres qu’ils le fassent ? L’hépatite virale est à l’origine de plus d’un million de décès dus à un cancer ou une cirrhose. Or la vaste majorité de ces décès peut être évitée grâce au dépistage et au traitement. Au lieu d’orienter les ressources vers de très couteux traitements anticancéreux et transplantations de foie, pourquoi ne pas concentrer les moyens dans de simples actions de prévention contre l’hépatite B et C ? C’est dans cette voie que nous devons nous engager.

La deuxième réorientation consiste à donner plus d’importance à l’intégration. S’il est nécessaire, afin d’obtenir un plus grand impact, d’adopter des approches verticales pour les soins de santé, le cloisonnement de l’allocation des ressources, humaines et financières, n’a aucun sens. La santé et les soins de santé doivent être appréhendés de façon globale et intégrée, parce que ce sont les personnes qui comptent, et non les maladies. Le cloisonnement des ressources engendre des redondances et du gaspillage. L’Égypte, dans sa riposte contre l’épidémie d’hépatite C d’ampleur exceptionnelle qui a touché sa population, a procédé à un dépistage massif, pour l’hépatite mais également pour d’autres maladies endémiques telles que le diabète. Les meilleures solutions d’intégration ne sont pas les mêmes en fonction de la situation épidémiologique du pays concerné. Toutefois, tous les pays peuvent avoir intérêt à intégrer, dans une certaine mesure, leurs services de lutte contre le VIH. À ce propos, le 29 juillet, j’animerai une table ronde sur la manière dont les défenseurs, les donateurs et les maîtres d’œuvre de la lutte contre le VIH peuvent agir pour faire avancer l’intégration et l’accès à la prévention, au dépistage et au traitement de l’hépatite virale, organisée dans le cadre d’une session sur l’intégration de la Conférence AIDS2022, à Montréal.

La troisième et dernière réorientation que je souhaite mettre en avant consiste à simplifier la prestation de services et à la rapprocher des communautés. La Journée mondiale contre l’hépatite de cette année avait pour thème le rapprochement des soins de santé, et l’OMS vient de publier de nouvelles directives sur la simplification de la prestation de services. Il ne sert à rien de proposer d’excellents services de soins si personne ne peut y accéder. Et il ne fait aucun doute que si seulement 20 % des personnes porteuses du virus de l’hépatite B ou C ont conscience de vivre avec un virus mortel, c’est parce que l’accès aux services est entravé pour diverses raisons, dont la stigmatisation. J’ai toujours été très favorable à ce que ces services soient assurés par des membres de la communauté. Cet engagement a marqué l’ensemble de mon travail au sein d’Hepatitis C Trust, au Royaume-Uni, et je suis enchanté de voir l’ampleur de l’adhésion du système de santé britannique, le NHS, qui a financé le recrutement par Hepatitis C Trust de plus d’une centaine d’agents chargés de se rendre auprès des communautés et dans les prisons pour assurer la prestation de services.

Parfois, et en particulier dans le cas des populations vulnérables, même si les soins viennent jusqu’aux personnes, il peut tout de même être difficile de garder le contact et donc d’assurer la continuité des soins. C’est pourquoi, même si nous disposons aujourd’hui d’outils remarquables, nous avons toujours besoin d’innovation. Prenons par exemple le traitement à action prolongée contre l’hépatite C, en cours de développement. Une simple injection pourra, nous l’espérons, suffire pour guérir. Grâce à Unitaid, qui finance la mise au point de ce traitement à l’Université de Liverpool, le MPP possède déjà une licence sur cette technologie, ce qui permet d’espérer que des versions abordables de ce traitement pourront être disponibles même dans les pays les plus pauvres.

La Journée mondiale contre l’hépatite a été lancée par la communauté pour la communauté. Nous devons dès aujourd’hui veiller à ce que tous nos services soient conçus pour les personnes qui en ont besoin et axés sur leurs demandes, et qu’ils soient rapidement mis à leur disposition.


[1] https://www.unicef.org/supply/documents/hepatitis-b-hepb-vaccine-price-data