Le périple du traitement antirétroviral
1 décembre 2017
Par Tapiwanashe Kujinga, membre d’AfroCAB.
Quand je pense au traitement antirétroviral, cela me ramène aux premières années du siècle où un diagnostic de VIH suscitait la peur chez tout le monde. La progression du sida signifiait une mort certaine. C’était l’époque où nous allions souvent au cimetière et enterrions beaucoup de bons amis, évoquant la cause de la mort à voix basse. Afin de masquer la stigmatisation du sida, on se servait d’un nouveau langage : « il était malade », et tout le monde savait que c’était le sida. Durant cette période triste et morose, le traitement antirétroviral est arrivé comme par miracle à l’heure de la mort, comme un météore dans un ciel sombre, une oasis de vie dans le vaste Sahara. Même si nous ne pouvions pas prononcer la phrase, nous nous sommes néanmoins émerveillés de ses qualités salvatrices.
Mais tout n’était pas beau et rose : je me souviens combien la taille du comprimé de didanosine que ma fille adoptive devait prendre tous les jours me faisait grimacer, et j’étais secrètement reconnaissant que ça ne soit pas moi qui ai à l’avaler. Evidemment, elle a eu une réaction immédiate avec une éruption cutanée et a dû opter pour une nouvelle combinaison : la névirapine, la lamivudine et la stavudine. Cela signifiait deux comprimés par jour au lieu des six qu’elle devait prendre précédemment, y compris la gigantesque didanosine. Quel soulagement ! Même si cela lui a réussi, cela n’a pas été le cas chez certains de mes amis. L’une d’elles, une jolie jeune fille très comme il faut, a soudainement perdu sa petite silhouette, et son cou et ses épaules ont grandis pour atteindre des proportions grotesques. Du jour au lendemain, elle s’est physiquement transformée en une personne différente, bien qu’elle soit restée gentille à l’intérieur. Ma tante se plaignait d’une sensation de brûlure continue sous la plante de ses pieds jusqu’à ce que je lui conseille d’arrêter de prendre la stavudine. Mais c’était une époque où le traitement antirétroviral (TAR) était plus précieux que des diamants – les infirmières vous demandaient de prendre votre mal en patience, de supporter les effets secondaires et de vous remercier de votre bonne étoile d’être toujours en vie. Un choix certes restreint entre le TAR et une mort certaine : ça valait la peine de tolérer tout le reste, y compris les corps déformés et la neuropathie périphérique, comme un petit prix à payer pour rester en vie.
A un moment, nous avons retrouvé notre militantisme et avons exigé la fin de médicaments ayant des conséquences néfastes sur nos corps dans un monde inondé de meilleures alternatives. Nous avons demandé à ce que la stavudine – avec la lipodystrophie, la neuropathie périphérique, l’acidose lactique, et tout le reste qui l’accompagnait – soit supprimé. Et nous avons gagné cette bataille. Mais la guerre continue.
Et donc aujourd’hui, je passe la journée dans cette salle remplie de jeunes et d’adolescents vivant avec le VIH. Pleins d’énergie, intelligents, curieux. Il n’y a jamais un moment d’ennui avec ces gens-là. Je me rappelle sans cesse de ma propre fille qui aurait pu être l’une d’entre eux, mais elle en avait eu assez du TAR et avait tout arrêté silencieusement. Au moment où je suis venue à son aide, il était trop tard. Cela fait presque six ans que nous l’avons enterrée sur une colline froide balayée par le vent, mais je n’arrive toujours pas à croire qu’elle soit partie. Et donc nous discutons de l’importance de plaider pour de meilleurs TAR avec ces jeunes. Ils parlent d’effets secondaires désagréables avec leurs régimes actuels. Toute question concernant les effets secondaires suscite des demandes furieuses par le microphone qui circule. Ils se plaignent du vertige induit par l’éfavirenz. Un autre raconte des rêves vifs et une fille pleine de vivacité parle de son expérience de cauchemars. Un autre jeune homme dit qu’il peut difficilement dormir une nuit complète, mais c’est son collègue qui se plaint de quelque chose de différent. Il a commencé à développer des seins de fille. Oui, ils émergent sous son T-shirt surdimensionné, aussi bien développés que ceux d’une fille nubile. C’est la gynécomastie, je leur dis, le nom scientifique de la condition, et je les laisse pratiquer l’orthographe correcte.
Nous parlons d’antirétroviraux qui vont arrêter le taux élevé d’effets secondaires chez les adolescents. Le spectre de la mort ne suffit pas à empêcher leurs pairs d’arrêter d’avaler les comprimés qui pourraient leur sauver la vie. Certains ne peuvent pas supporter leur taille qui fait que les avaler devient une expérience déchirante et d’autres redoutent leurs effets secondaires. Et nous discutons du dolutégravir, l’un des nouveaux-venus sur l’arène des TAR. Les jeunes sont assis sur les bords de leurs chaises pendant que j’annonce ses avantages : plus petit composé, plus robuste, plus haute barrière à la résistance, une meilleure tolérance, et la liste continue. Je leur parle d’autres médicaments en cours de développement, comme le cabotégravir et la rilpivirine, qui les libéreront des comprimés quotidiens. Ils veulent ces médicaments tout de suite, disent-ils. Nous parlons de comment ils peuvent les obtenir. Plaider pour cela, nous leur disons. Rien ne vous viendra sur un plateau d’argent.
Et ils partent, prenant toujours leurs ARV actuels, mais en rêvant à de meilleurs médicaments avec moins d’effets secondaires et déterminés à y avoir accès.
Grâce à la licence du Medicines Patent Pool avec ViiV Healthcare, un dolutégravir générique à faible coût et de qualité garantie, et des combinaisons contenant du dolutégravir deviennent petit à petit disponibles dans un grand nombre de pays à revenu faible et intermédiaire.