MDR-TB

– Par Peter Ngo’la Owiti, directeur exécutif, Wote Youth Development Projects, Kenya

Peter Ngo’la Owiti milite pour les droits des patients atteints de tuberculose au Kenya. Depuis 1994, 13 membres de sa famille sont morts de la tuberculose dont son propre fils l’a contractée à un jeune âge, avant d’en guérir. Peter est aujourd’hui directeur exécutif de Wote Youth Development Projects, une organisation qui défend les intérêts des jeunes atteints de tuberculose associée au VIH, basée dans le comté de Makueni, au Kenya. Militant infatigable de l’accès aux traitements contre la tuberculose, Peter mène des actions de sensibilisation à l’échelle communautaire, nationale et mondiale pour mieux faire connaître cette maladie. Il a récemment été nommé pour représenter les communautés de personnes vivant avec la tuberculose au sein du Conseil de facilitation du Dispositif pour accélérer l’accès aux outils de lutte contre la COVID-19 (Accélérateur ACT). À l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre la tuberculose, Peter nous présente la situation au Kenya.

Un membre de notre communauté est décédé. Il était atteint de tuberculose multirésistante.

Mon travail consiste à prendre soin des personnes de ma communauté touchées par la tuberculose. En 2021, le Kenya a publié des directives intégrées relatives à la tuberculose, à la lèpre et aux maladies pulmonaires, après avoir diffusé un bref communiqué à ce sujet en 2020. Ces directives recommandent d’abandonner progressivement les médicaments injectables pour adopter un traitement entièrement oral contenant de la bédaquiline (BDQ) contre la tuberculose multirésistante et la tuberculose résistante à la rifampicine[1]. Cependant, le traitement injectable est longtemps resté comme étant la norme. Avant les récentes directives, un traitement individualisé à base de BDQ et à prise orale était disponible, mais seulement pour les patients atteints de tuberculose multirésistante ou résistante à la rifampicine qui répondaient à un certain nombre de critères. Ce traitement, qui était prescrit au cas par cas, ne pouvait être administré qu’à la demande de la pharmacie centrale. Cette approche individualisée a entraîné beaucoup de retards et a eu des répercussions négatives sur la santé des patients. Wilson (son prénom a été changé) avait récemment appris qu’il était atteint de tuberculose multirésistante. Malheureusement, il était déjà très malade lorsque sa tuberculose multirésistante a été diagnostiquée. Même s’il a été inscrit dans le programme de soins, il n’a pas pu recevoir de traitement à base de BDQ à temps et il est décédé de cette maladie, qui pourtant peut être guérie. Je suis persuadé que si le traitement le plus efficace avait été disponible immédiatement, quels qu’aient été les critères pour en bénéficier, Wilson aurait pu être sauvé. Les nouvelles directives nationales sont une très bonne chose, mais encore faut-il qu’elles soient largement mises en œuvre.

Le Kenya, un pays durement touché par la tuberculose, la coïnfection tuberculose/VIH et les formes multirésistante et résistante à la rifampicine

L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) classe le Kenya parmi les 30 pays les plus touchés par la tuberculose (et ceux les plus touchés par la coïnfection tuberculose/VIH et la tuberculose multirésistante/résistante à la rifampicine). En 2019, environ 140 000 personnes ont contracté la tuberculose. Parmi elles, 84 000 personnes (60 %) ont été diagnostiquées et soignées. La même année, on comptait quelque 2 200 cas incidents de tuberculose multirésistante et résistante à la rifampicine dans le pays. Le VIH reste un facteur important de transmission. Environ 37 000 personnes vivant avec le VIH ont contracté la tuberculose en 2019. Pourtant, la tuberculose est une maladie qui peut être évitée, diagnostiquée, traitée et guérie. Toutes les personnes diagnostiquées devraient donc pouvoir avoir accès aux soins de manière simple et recevoir un traitement composé des médicaments disponibles les plus efficaces, en particulier dans le cas de la tuberculose multirésistante et de la tuberculose résistante à la rifampicine, pour laquelle l’OMS recommande désormais un traitement entièrement oral.

Un meilleur accès aux traitements contre la tuberculose multirésistante et la tuberculose résistante à la rifampicine est toujours nécessaire

En 2012, l’utilisation de la bédaquine a été approuvée par la FDA contre la tuberculose multirésistante. Cela faisait alors plus de 40 ans que le traitement contre la tuberculose n’avait pas évolué. Les premiers stocks de BDQ pour le Kenya étaient un don de l’entreprise pharmaceutique Janssen (filiale du groupe Johnson and Johnson, et détentrice du princeps), réalisé en partenariat avec USAID et par l’intermédiaire du Dispositif mondial d’approvisionnement en médicaments du Partenariat Halte à la tuberculose (dans le cadre d’un programme qui s’est étendu de 2015 à 2019). En 2017, la bédaquine a été ajoutée à la Liste modèle des médicaments essentiels de l’OMS et, en 2020, l’OMS a recommandé le retrait progressif des produits injectables au bénéfice d’un schéma thérapeutique entièrement oral contenant de la bédaquine contre la tuberculose multirésistante et la tuberculose résistante à la rifampicine, soulignant l’importance de ce médicament sur lequel reposent aujourd’hui les traitements de courte et de longue durées contre la tuberculose multirésistante et résistante à la rifampicine dans les pays à revenus faible et intermédiaire, en particulier ceux durement touchés comme le Kenya. En plus d’agir comme moteur de la transition vers un traitement entièrement oral, qui permettra d’abandonner le traitement par injections obsolète, douloureux et accompagné de lourds effets secondaires, la bédaquine va ouvrir la voie à l’administration à domicile, et peut-être même à l’auto-administration.

Malheureusement, en raison du coût élevé de certains médicaments (notamment de la bédaquine[2]) contre la tuberculose multirésistante et résistante à la rifampicine, seul un petit nombre de patients en ont déjà bénéficié. Au Kenya, malgré les nouvelles directives nationales, la bédaquine est avant tout utilisée pour traiter la tuberculose ultrarésistante et d’autres cas complexes pour lesquels les traitements de deuxième intention, tels que la kanamycine, ne peuvent pas être administrés. Pourtant, la kanamycine est un médicament injectable que l’OMS a recommandé d’abandonner. Si les traitements à base de bédaquine étaient plus abordables, je suis convaincu que beaucoup plus de patients atteints de tuberculose multirésistante et résistante à la rifampicine auraient déjà pu être traités, sans qu’ils aient à subir les effets indésirables des solutions injectables obsolètes. Toutefois, il n’est pas trop tard. Avec de la volonté politique et un plus grand nombre d’options thérapeutiques abordables, nous pouvons rattraper le retard dans le traitement de la tuberculose multirésistante et résistante contre la rifampicine.

Davantage de fonds nécessaires pour intensifier le traitement de la tuberculose

Le Fonds mondial, qui est à l’origine de 73 % de l’ensemble du financement international de la lutte contre la tuberculose, a investi depuis sa création en 2002 7,2 milliards USD dans des programmes de prévention et de traitement de la tuberculose partout dans le monde[3]. Cependant, d’après l’OMS, 3,3 milliards USD sont encore nécessaires chaque année pour combler le manque de ressources permettant la mise en œuvre des interventions contre la tuberculose. Même si le prix de la bédaquine a baissé ces dernières années, le coût du traitement de la tuberculose multirésistante et résistante à la rifampicine reste élevé ; les moyens déployés contre cette menace pour la santé publique doivent être revus à la hausse. Dans le cadre de la riposte contre le VIH et contre l’hépatite C, l’octroi de licences volontaires orientées vers l’accès ont permis la mise en place d’une concurrence saine entre fabricants de génériques et d’importantes réductions des prix pour des médicaments tout aussi novateurs (qui sont aujourd’hui bien en-dessous de 100 USD pour un traitement d’un an ou pour une cure de 12 semaines). Il devrait être possible d’appliquer ce modèle aux traitements contre la tuberculose multirésistante et résistante à la rifampicine (contenant de la bédaquine).

Aujourd’hui, en pleine pandémie de COVID-19, nous craignons que les avancées de la lutte contre la tuberculose soient perdues. Plus que jamais, nous devons consolider les acquis. Ainsi, la bédaquine, compte tenu de son innocuité, de son efficacité et de la possibilité qu’elle offre de simplifier le traitement de la tuberculose multirésistante et résistante à la rifampicine, devrait être plus largement disponible pour ceux qui en ont besoin, conformément aux recommandations de l’OMS et, désormais, en application de nos directives nationales. Ces directives doivent être pleinement mises en œuvre dans le pays ; nous devons nous éloigner des schémas thérapeutiques restrictifs au cas par cas et adopter des approches plus rationalisées, davantage axées sur la santé publique dans tous les pays lourdement touchés. De cette manière, même si Wilson n’a pas eu cette chance, d’autres pourront guérir de la tuberculose multirésistante et résistante à rifampicine.


[1] La tuberculose multirésistante est provoquée par la résistance du bacille de la tuberculose au moins aux deux principaux antituberculeux de première intention, l’isoniazide et la rifampicine. L’OMS recommande un traitement entièrement oral contenant de la bédaquine pour la tuberculose multirésistante et pour la tuberculose résistante à la rifampicine.

[2] Le programme de don de bédaquine a pris fin en mars 2019.

[3] Données du Fonds mondial au mois de juin 2020.