Dix ans du Medicines Patent Pool

“Le MPP détient des licences sur les brevets de tous les traitements, de première et de deuxième intention, recommandés par l’OMS contre le VIH. L’importance du travail du MPP est reconnue par la communauté de la santé mondiale et les acteurs de l’industrie. “

– Par Ellen ‘t Hoen, directrice de Medicines Law & Policy, membres fondateurs et la première directrice exécutive du Medicines Patent Pool

Dix ans du Medicines Patent Pool

En 2002, un petit groupe de personnes qui participaient à la Conférence mondiale sur le VIH/sida (IAS) a commencé à discuter d’une idée innovante pour sauver la vie des personnes touchées par cette maladie. À ce moment-là, les brevets qui protégeaient les antirétroviraux empêchaient la création de versions génériques abordables. Le prix des princeps était généralement bien trop élevé pour que les 30 millions de personnes vivant avec la maladie dans des pays à revenu faible et intermédiaire puissent y avoir accès. James Love, de l’ONG Knowledge Ecology International, a soumis au groupe une idée : pendant la Première Guerre mondiale, le gouvernement des États-Unis avait créé une communauté de brevets portant sur des technologies dont l’industrie aéronautique militaire avait désespérément besoin pour remporter la guerre. « Si nous pouvons faire cela pour remporter la guerre, pourquoi ne pourrions-nous pas le faire pour lutter contre le VIH/sida ? ».

Les experts présents à l’IAS ont alors proposé de créer une communauté de brevets pharmaceutiques. Le but étant de stimuler l’innovation et de favoriser l’accès aux médicaments nécessaires à la lutte contre la pandémie de VIH. Ainsi, an 2010, Unitaid a fondé le Medicines Patent Pool (MPP), dont il reste à ce jour l’un des principaux bailleurs de fonds.

La success story du MPP

Dix ans plus tard, le modèle a fait ses preuves. Les actifs de propriété intellectuelle regroupés par le MPP depuis sa création en 2010 ont permis de fournir près de 15 milliards de doses de médicaments dans 141 pays et d’économiser 1,66 milliard USD de dépenses dans la santé publique (voir l’impact du MPP). En 2015, au vu des accomplissements réalisés dans le domaine de la lutte contre le VIH, le mandat du MPP a été élargi à l’hépatite C et à la tuberculose. En 2019, il a été une nouvelle fois étendu pour inclure d’autres traitements figurant sur la Liste modèle de médicaments essentiels de l’OMS. Enfin, en 2020, il a été convenu que le MPP serait mis à contribution pour la lutte contre la COVID-19. (voir le mandat du MPP)

Au départ, personne ne pouvait prédire que le MPP connaîtrait un tel succès. L’idée a été d’abord reçue avec scepticisme ; presque tout le monde au sein de la communauté de la santé et du commerce mondiaux pensait que ça ne marcherait jamais. Cependant, à moins de changer les règles de l’Organisation mondiale du commerce en matière de propriété intellectuelle, personne n’avait de meilleure idée. Le premier pas en avant a eu lieu lorsque les National Institutes for Health (NIH), aux États-Unis, ont proposé d’octroyer au MPP des licences sur leurs brevets liés à des médicaments anti-VIH. Le président américain de l’époque, Barack Obama, a salué l’initiative sur le blog de la Maison-Blanche et a encouragé tous les détenteurs de brevets portant sur des traitements anti-VIH à faire la même chose. À partir de ce moment-là, la machine était lancée. Gilead a été le premier laboratoire à suivre l’exemple en 2011, et des fabricants de génériques ont rejoint le mouvement la même année.

Aujourd’hui, le scepticisme s’est envolé. Le MPP détient des licences sur les brevets de tous les traitements, de première et de deuxième intention, recommandés par l’OMS contre le VIH. L’importance du travail du MPP est reconnue par la communauté de la santé mondiale et les acteurs de l’industrie. L’histoire du MPP est un modèle de réussite, mais en tirera-t-on des enseignements au-delà de la lutte contre le VIH ?

Le challenge de la COVID-19

Les obstacles à l’accès qui sont apparus clairement pendant la pandémie de VIH ne sont pas propres à celle-ci ; les mêmes difficultés empêchent l’accès à des technologies essentielles pour beaucoup d’autres maladies. La pandémie de COVID-19 a levé le voile sur les lignes de fracture. Les pays à revenu élevé faisant la course pour être les premiers à acheter les vaccins et les traitements. Sans la mise en place d’un mécanisme international de partage des technologies sanitaires contre la COVID-19, nous risquons à nouveau de créer une situation où la maladie est au Sud et où les vaccins et les traitements sont au Nord, comme c’était le cas pendant la pandémie de VIH.

Pour que cela n’arrive pas, l’Organisation mondiale de la Santé a créé le Groupement d’accès aux technologies contre la COVID-19 (C-TAP), une nouvelle fois avec le soutien d’Unitaid. Mais peu d’acteurs ont répondu à l’appel, et c’est préoccupant. Aujourd’hui, pour faire face à la COVID-19, il serait dommage de ne pas mettre à profit l’expérience et le savoir-faire du MPP. Et ainsi intensifier, au moyen de licences, la production de technologies de santé. Comme nous l’avons vu avec le VIH, la réussite du regroupement des technologies dépendra du soutien politique apporté à l’initiative C-TAP. Une nouvelle fois, des doutes sont émis quant à l’efficacité de l’initiative C-TAP. Mais l’expérience du MPP montre bien que ce modèle peut fonctionner ; s’il bénéficie d’une participation de l’industrie et d’un soutien des gouvernements suffisants.

La pandémie de COVID-19 est actuellement sous le feu des projecteurs. Mais nous ne devons pas oublier la nécessité d’améliorer l’accès à d’autres nouveaux médicaments essentiels ; notamment dans le traitement du diabète, du cancer et des maladies cardiovasculaires. Après la COVID-19, je pense que le cancer sera le prochain grand défi qui mobilisera le MPP. La demande est en augmentation et les traitements s’améliorent ; mais ils sont encore beaucoup trop chers pour la plupart des malades et des populations de pays en développement.

Dix ans du Medicines Patent Pool


À propos d’Ellen ‘t Hoen :

Ellen ‘t Hoen est la directrice de Medicines Law & Policy, un groupement d’experts en matière de droit et de politique qui propose des services de conseil aux organisations internationales et aux gouvernements. Elle est l’un des membres fondateurs et la première directrice exécutive du Medicines Patent Pool. Ellen est par ailleurs boursière de la faculté de droit de l’Université de Groningen. Ell est titulaire d’un master en droit de l’Université d’Amsterdam et d’un doctorat de l’Université de Groningen. Elle est à l’origine d’un grand nombre de publications et a signé de nombreux ouvrages. En 2017, elle a reçu le  Prix Prescrire pour son livre « Private Patents and Public Health: Changing intellectual property rules for public health ». En 2020, elle a été nommée Officier de l’Ordre d’Orange-Nassau, titre honorifique qui lui a été accordé en reconnaissance de son travail en faveur de l’accès aux médicaments.