– Par le Docteur ABDERRAZZACK A. Fouda MA (CAMES) ; Coordinateur du PSLS/IST/MSPSN – Programme sectoriel de lutte contre le sida et les infections sexuellement transmissibles ; Chef d’équipe adjoint/Sous Unité laboratoire/CNRS/COVID-19 ; Enseignant Chercheur

Le VIH, une épidémie généralisée au Tchad

Le Tchad est un grand pays enclavé situé en Afrique centrale. Il possède des frontières avec la Libye, le Soudan, la République centrafricaine, le Cameroun, le Nigéria et le Niger, et compte près de 16 millions d’habitants. L’ONUSIDA[1] estime à 120 000 le nombre de personnes vivant actuellement avec le VIH dans le pays. Le taux de prévalence national du VIH était de 1,6% (EDST 2014-2015) mais elle a estimée  à 1,2 % (Spectrum, 2020), et celui-ci touche en particulier le groupe d’âges des 15-49 ans. La maladie a donc le statut d’épidémie généralisée et touche toutes les catégories socio-économiques. Le taux de prévalence du VIH varie entre les 23 provinces que compte le pays, mais plus de 80 % des cas sont concentrés dans huit provinces du pays. Les endroits où le taux d’incidence est le plus fort sont les zones urbaines, où la densité de population est élevée et où il existe d’autres facteurs qui accroissent la transmission du VIH. Les provinces de Borkou et Tibesti, situées au nord, présentent aussi des taux d’incidence élevés. Dans cette province désertique, nos programmes ont du mal à parvenir jusqu’aux personnes qui en ont besoin, car elles vivent souvent dans des lieux reculés. Ici, on trouve une présence militaire importante et beaucoup de personnes de passage, notamment des migrants, des chauffeurs routiers et des orpailleurs ; il est donc difficile d’assurer le suivi des patients. Le taux d’infection dans ces provinces peut atteindre 5,3 %, alors que, dans la province du Logone Oriental, située au sud, le taux de prévalence est de 0,1 %. Dans la capitale, N’Djamena, la prévalence du VIH s’élève à 4 %, contre à peine 0,6 % dans d’autres zones rurales.

Les femmes plus touchées par le VIH

La pauvreté est très répandue dans le pays ; de nombreuses personnes sont en situation de précarité financière, ce qui rend encore plus difficile la gestion de la riposte au VIH. Par exemple, comme dans le reste du monde, les jeunes veulent être connectés aux réseaux sociaux, ce qui nécessite des smartphones très coûteux. De nombreuses familles n’ont tout simplement pas les moyens d’en acheter. Nous voyons un grand nombre de travailleuses de sexe et aussi de jeunes filles qui recherchent des personnes capables de les aider financièrement en échange de relations sexuelles. Bien que nous ayons observé une baisse de 31 % des nouvelles infections depuis 2010, l’ONUSIDA estime qu’il y en a eu 5 200 en 2019. Au Tchad, le taux de prévalence du VIH est plus élevé chez les femmes que chez les hommes, atteignant 1,8 % contre 1,3 % ; chez les jeunes de 15-24 ans, ce taux s’élève à 1,4 % chez les femmes contre 0,7 % chez les hommes. En ce qui concerne la prévention, les préservatifs sont en général utilisés lors des premiers rapports, mais souvent abandonné par la suite, ce qui entraîne de nouvelles infections au VIH. Les femmes sont toujours largement désavantagées lorsqu’elles négocient l’utilisation du préservatif, et doivent consentir souvent à avoir des rapports non protégés si elles veulent garder ce partenaire. Nous avons dans nos projet d’augmenter l’utilisation du la PReP, la PReP s’adresse aux personnes à risque et aux personnes qui n’ont pas le VIH et consiste à prendre un médicament afin d’éviter de se faire contaminer.

Un programme de lutte contre le VIH mis en place tôt et qui montre son efficacité

Malgré les difficultés, notre programme de lutte contre le VIH produit beaucoup de résultats positifs. Fin 2020, nous comptions plus de 77 000 personnes sous traitement antirétroviral. Le Tchad a réagi très tôt à l’éclatement de l’épidémie de VIH, mettant en place son premier programme de lutte en 1987. Au fil du temps, nous avons mis au point nos plans stratégiques et développé le programme. En 2007, le traitement contre le VIH, comprenant les tests de dépistage, le suivi des PVV, a été institué gratuitement ; à cette époque, seulement 7 000 personnes bénéficiaient d’un traitement antirétroviral. En 2009, le Ministère de la santé publique et de la solidarité nationale avez créé le PSLS/IST[2], programme gouvernemental que je dirige aujourd’hui et, en 2015, nous sommes passés au protocole « tester-traiter » pour que toute personne diagnostiquée positive au VIH puisse être immédiatement placée sous traitement. Aujourd’hui, le gouvernement tchadien assure un tiers du financement des programmes de lutte contre le VIH, le Fonds mondial prenant à sa charge le reste des coûts. Nous avons également établi de solides partenariats avec l’ONUSIDA, l’OMS et l’UNICEF, ainsi qu’avec d’autres acteurs au développement.

Arrivée des premières boîtes de dolutégravir en 2020

À la suite de l’approbation ministérielle de nos directives en matière de traitement contre le VIH en mars 2019, nous avons mis en place les traitements à base de dolutégravir (DTG) recommandés par l’OMS. En janvier 2020, nous avons reçu nos premières boîtes de TLD (ténofovir/lamivudine/dolutégravir 300/300/50 mg) et nous avons commencé à les distribuer dans les différentes provinces. Fin mars 2021, 353 000 boîtes de 30 comprimés[3] de DTG ou de TLD avaient été fournies à nos PPA (Pharmacies provinciales d’approvisionnement). Plus de 10 000 personnes sont déjà sous traitement à base de DTG. Dans notre système de santé, les infirmières, les sages-femmes peuvent prescrire un traitement de première ligne. Les CPS (Conseillers Psychosciaux) assurent le renouvellement des ordonnances. Ce n’est que lorsqu’il y a un échec du traitement que les médecins voient les patients. Ce mode de fonctionnement nous permet de traiter un grand nombre de personnes rapidement. Nous avons conçu notre protocole de manière à pouvoir placer sous DTG tout patient adulte ou adolescent nouvellement diagnostiqué positif au VIH, y compris les femmes enceintes et les jeunes femmes en âge de procréer de plus de 30 kg. Nous souhaitons également faire passer sous DTG tous les adultes et adolescents recevant actuellement un traitement à base de névirapine ou d’éfavirenz, ainsi que tous les autres adultes, y compris ceux dont le traitement a échoué. Notre objectif est que tous les patients éligibles puissent bénéficier d’un traitement à base de DTG d’ici mi-2022.

Satisfaction des patients ayant changé de traitement pour le DTG

Au cours de cette dernière année, nous avons reçu des commentaires et témoignages très positifs de la part des clients prenant du DTG ; nous devons encore procéder à des évaluations en bonne et due forme, mais nos clients nous témoignent déjà leur satisfaction, notamment liée au fait que les effets secondaires sont moins importants. Ils se passent le mot et de plus en plus de clients demandent à abandonner leur ancien traitement au profit du traitement à base de DTG. En outre, les premières données laissent penser que, avec le DTG, la charge virale devient indétectable beaucoup plus rapidement qu’avec les anciens traitements. Nous avons également inclus dans nos plans pour la période 2022-2025 la formulation pédiatrique du DTG sous forme de comprimés sécables dispersibles de 10 mg et, avec l’aide du Fonds Mondial, nous espérons intégrer cette nouvelle option pour les enfants pesant de 3 à 20 kg dans nos stocks le plus rapidement possible, pour que les plus jeunes enfants puissent en profiter.

Antirétroviraux fournis au Tchad grâce aux licences du MPP :

Depuis 2015, le Tchad est approvisionné en antirétroviraux génériques de qualité par l’intermédiaire des bénéficiaires de sous-licence du MPP. 1,1 million de boîtes de 30 comprimés ont été fournies, ce qui représente plus de 91 000 patients-années de traitement.

 


[1] UNAIDS, Chad – country factsheet

[2] PSLS/IST: Programme Sectoriel de Lutte contre le Sida et les Infections Sexuellement Transmissibles

[3] Données tirées de l’accord de licence du MPP, correspondant à environ 29 000 patients-années de traitement.