Intervenant : Esteban Burrone

Au nom du Medicines Patent Pool (MPP), je voudrais exprimer ma reconnaissance de pouvoir m’adresser à ce Comité. Le MPP a soumis un document au Comité, et je voudrais inviter ses membres à l’examiner. Cependant, compte tenu du temps dont nous disposons, je ne traiterai pas des détails de ce document aujourd’hui. Mon intervention sera plutôt axée sur l’un de ses postulats : l’accès de demain doit être planifié dès aujourd’hui. Au fil des ans, j’ai entendu à de nombreuses reprises la frustration de certains membres de ce Comité : un médicament fait son entrée sur la Liste modèle des médicaments essentiels de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), mais l’accès à celui-ci dans les pays à revenus faible et intermédiaire reste limité, causant une morbidité ou une mortalité inacceptable. Je voudrais dire qu’il pourrait en être autrement. Nous pouvons planifier l’accès de demain dès maintenant.Permettez-moi de vous parler du dolutégravir (DTG), composant-clé du traitement de première intention privilégié par l’OMS contre le VIH.

Ce médicament a été approuvé par les États-Unis en 2013. En 2014,  le MPP a signé un accord de licence avec ViiV Healthcare qui a permis l’élaboration de versions génériques, dont la mise au point a pris environ trois ans. Lorsque ce Comité a fait figurer ce médicament sur la Liste, en 2017, plus de dix fabricants produisaient déjà des versions génériques, et certains avaient déjà déposé une demande d’enregistrement en vue de le proposer au plus vite et à un prix abordable dans les pays à revenus faible et intermédiaire. Une fois le médicament sur la Liste, l’accès pouvait ainsi être presque instantané.

Si ces versions génériques n’avaient pas été disponibles, il est très possible que ce Comité ait conclu que le rapport coût-efficacité du DTG n’était pas bon et que davantage de données étaient nécessaires (par exemple sur les patients, ou sur les enfants) avant qu’il puisse figurer sur la Liste. Ou bien le Comité aurait pu l’inclure à la Liste, puis exprimer ultérieurement sa frustration face à la lenteur de son déploiement. Pourquoi le MPP a-t-il négocié cette licence ? Parce que ce médicament semblait prometteur et que, au travers de cette licence, il pouvait avoir un rapport coût-efficacité intéressant dans les pays à revenus faible et intermédiaire. Il n’était pas prêt à intégrer la LME en 2013 ni en 2015, mais l’OMS, au travers d’une initiative appelée « Treatment 2.0 », a identifié de nouveaux traitements contre le VIH tels que le DTG. Bien entendu, tous n’ont pas répondu aux attentes, et certains qui semblaient prometteurs n’ont finalement pas tenu leurs promesses. Aujourd’hui, ces médicaments sont rarement utilisés dans les pays à revenus faible et intermédiaire. Puis, le DTG est arrivé, changeant la donne dans le traitement du VIH. La planification précoce de l’accès à ce médicament a fait toute la différence et a déjà permis à plus de dix millions de personnes d’en bénéficier.

Pourquoi cette histoire est-elle pertinente ? Parce que, aujourd’hui, plusieurs traitements en attente d’inclusion dans la LME pourraient se trouver dans une situation similaire. Certains brevets sont protégés dans les pays à revenus faible et intermédiaire, principalement dans le domaine du cancer. Parmi eux, certains peuvent avoir un coût trop élevé, ou il est encore nécessaire d’obtenir davantage de données avant de pouvoir les faire figurer sur la liste. Il incombe à ce Comité d’analyser les données et de décider quels médicaments sont prêts pour une inclusion immédiate dans la LME de l’OMS. Mais, quelle que soit votre décision aujourd’hui, il est important de penser à l’avenir. Est-ce que certains de ces médicaments pourraient jouer un rôle essentiel dans trois ans ? Est-ce que l’un ou l’autre de ces médicaments pourrait changer la vie des malades parce qu’il présente des avantages cliniques ? Auriez-vous choisi d’en faire figurer certains sur la Liste si leur coût avait été plus intéressant ? Si vous répondez par l’affirmative à l’une de ces questions, alors nous devons commencer à planifier l’accès dès aujourd’hui. D’un point de vue clinique, certains de ces médicaments obtiennent des scores très élevés (voire les meilleurs scores) sur l’échelle d’importance des bénéfices cliniques d’ESMO (ESMO-MCBS), ce qui signifie qu’il y a une forte probabilité qu’ils améliorent l’état clinique des patients.

Par conséquent, si le Comité décide de ne pas les faire figurer sur la liste et demande davantage de données, va-t-il aussi formuler une demande sur leur coût ? Formulera-t-il la bonne recommandation pour que ces médicaments ayant une grande importance clinique deviennent largement disponibles et moins coûteux dans les pays à revenus faible et intermédiaire ? Fera-t-il preuve d’anticipation, comme l’a fait l’OMS avec le DTG ? Si vous voulez voir des versions génériques abordables être développées pour une utilisation dans les pays à revenus faible et intermédiaire, vous pouvez agir. Vous pouvez en faire la demande et donner mandat à l’OMS et aux autres parties prenantes pour qu’une telle chose arrive. Le coût n’est pas quelque chose de fixe, et il ne doit pas être un obstacle à l’accès à des médicaments efficaces pour les patients qui en ont besoin. Au MPP, nous sommes prêts à faire notre part, en facilitant l’accès futur à de nouveaux médicaments prometteurs grâce à notre modèle de licences et de collaboration avec l’industrie, comme nous l’avons fait pour le DTG et pour les 15 autres médicaments de la LME de l’OMS pour lesquels un accès abordable a été rendu possible, notamment grâce aux licences du MPP.