Le slogan de la Journée mondiale contre l’hépatite est « Nous n’attendons pas ! ». Il a été choisi par la communauté des personnes touchées par une forme d’hépatite virale, majoritairement les hépatites B, C et D, qui sont toutes des maladies chroniques trop souvent à l’origine de cirrhoses et de cancers du foie. Selon la lecture qu’on en fait, le message porté par ce slogan n’est pas vraiment prometteur. Il signifie que la communauté ne peut pas attendre plus longtemps que les responsables politiques agissent. La communauté va donc tout mettre en œuvre pour agir, en menant des activités de sensibilisation, en luttant en faveur du dépistage, en apportant un soutien aux personnes frappées par ces maladies et en continuant de se battre pour faire avancer les choses, pendant que les responsables politiques tergiversent, encore et encore. Mais tout cela ne suffira pas.

En 2008, j’ai écrit à tous les ministres de la Santé pour les prier d’agir et de faire de la Journée mondiale contre l’hépatite une journée officielle de l’OMS. Depuis, à quelques exceptions (notables et honorables) près, aucun pays n’a accompli de réels progrès. La communauté mondiale s’est engagée à éradiquer l’hépatite virale à l’horizon 2030, et a convenu à plusieurs reprises de stratégies pour y parvenir (la dernière datant de 2022). Pourtant, dans les faits, on constate très peu d’avancées.

2030, c’est demain. Il est nécessaire de mettre en place des activités de prévention, de dépistage et de traitement. Malheureusement, les résultats ne seront pas immédiats. C’est pourquoi il faut déployer ces activités dès aujourd’hui, sans attendre. Pour les 300 millions de personnes qui vivent avec une forme chronique de l’hépatite virale sans le savoir, faute de pouvoir se faire dépister, et qui ignorent qu’elles sont atteintes d’une maladie mortelle qui pourrait être soignée ou du moins contrôlée. Elles ne peuvent pas attendre. Pour les femmes enceintes qui devraient pouvoir se faire dépister, qui elles non plus ne peuvent pas attendre. Et pour leurs enfants qui ont besoin d’un vaccin dès leur naissance. Eux non plus ne peuvent pas attendre.

En 2008, on dénombrait chaque année plus d’un million de décès dus à l’hépatite virale. Ce chiffre est resté le même : l’hépatite virale tue encore plus d’un million de personnes par an. Le plus tragique, c’est que la plupart de ces décès peuvent tout à fait être évités. Nous avons les outils pour cela, et ils s’avèrent extrêmement rentables, certains permettant même des économies sur le très court terme. Mais nous ne les utilisons tout simplement pas. Par exemple, nous savons que 80 % des personnes vivant avec l’hépatite virale ne sont pas diagnostiquées et que sur 54 pays, 36 ne vaccinent pas les nourrissons contre l’hépatite B à la naissance. Le daclatasvir, l’un des médicaments utilisés contre l’hépatite C et sur lequel le MPP possède une licence, a été commercialisé dans 37 pays, quand notre licence couvre 112 pays. Ainsi, pas plus de 1,4 million de doses/traitements à base de daclatasvir ont été vendus, alors que 50 millions de personnes en ont besoin.

Il ne fait aucun doute que les pays ont dû réduire le budget consacré à la lutte contre l’hépatite virale pour faire face à la pandémie, à la guerre ou aux dépenses énergétiques. Si nous voulons que des fonds soient à nouveau alloués, nous devons miser sur la rentabilité. C’est en intégrant les interventions à d’autres programmes de santé qu’il sera possible de maximiser les gains d’efficacité. Citons l’exemple de l’Égypte qui, lourdement touchée par l’hépatite C et pressée par l’urgence de trouver une solution, a mis sur pied une campagne de dépistage de l’ensemble de la population à la fois pour l’hépatite C et pour d’autres maladies largement répandues. C’est à chaque pays de déterminer comment les activités de lutte contre l’hépatite virale peuvent être intégrées à d’autres interventions, en fonction de sa situation épidémiologique. C’est la seule solution pour aller de l’avant.

Cette incapacité à recourir à des outils existants et pour un coût plus qu’abordable soulève une autre question essentielle. La communauté de la santé mondiale déploie des efforts et des ressources considérables pour que ces outils puissent être utilisés dans les pays à revenus faible et intermédiaire. Or si ces outils ne sont pas mis à profit, va-t-elle poursuivre ses efforts ?

Au MPP,  des entreprises pharmaceutiques nous demandent déjà pourquoi elles devraient nous octroyer des licences pour rendre des médicaments accessibles et abordables pour les pays à revenus faible et intermédiaire si les gouvernements ne souhaitent pas les acheter et soigner les gens. En outre, des fabricants de génériques nous demandent pourquoi elles devraient investir dans le développement de versions génériques si aucun marché n’existe et que les gouvernements n’achètent pas ces médicaments. La menace est bien réelle, et l’hépatite virale est un exemple frappant d’impact vraiment trop insuffisant.

Alors qu’une nouvelle Journée mondiale de lutte contre l’hépatite approche, les mots aimables prononcés lors de l’Assemblée mondiale de la Santé appartiennent au passé. Aujourd’hui, nous avons besoin de mesures concrètes.

Je souhaiterais cependant conclure sur une note positive. Je me réjouis de la décision annoncée en juin par le conseil d’administration de Gavi de continuer la mise en œuvre de la stratégie d’investissement de l’Alliance, et de relancer des programmes visant à déployer des vaccins déjà approuvés, qui avaient été mis entre parenthèses en raison de la pandémie ou de retards pris dans le développement des produits. Le vaccin à la naissance contre l’hépatite B en fait partie. Gavi collaborera avec ses partenaires, en particulier l’OMS, l’UNICEF et les pays pour définir des calendriers, élaborer des directives techniques pour le déploiement des produits, et préciser les modalités de ces programmes. C’est une formidable nouvelle pour les nouveau-nés, qui ne peuvent pas attendre.

Charles Gore

Directeur exécutif