En 2006, deux choses m’ont profondément marqué : l’énorme mortalité causée par l’hépatite virale et l’absence totale de priorité et de sensibilisation autour de ce fléau. C’est ce qui m’a poussé à lancer la Journée mondiale contre l’hépatite et à fonder l’Alliance mondiale contre l’hépatite. Il me semblait incompréhensible que l’hépatite virale tue chaque année autant de personnes que le VIH, la tuberculose ou le paludisme, alors que personne ne semblait s’en soucier. Au sein même de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), elle était pratiquement invisible. Aucun des plus de 8 000 employés de l’OMS n’avait « hépatite » dans son intitulé de poste.

Depuis, la mortalité annuelle liée au VIH, à la tuberculose et au paludisme a diminué grâce au leadership politique et, bien sûr, au financement. En revanche, celle liée à l’hépatite virale a, si possible, augmenté. Elle s’élève actuellement à 1,3 million de décès par an. Cela équivaut à deux décès et demi chaque minute. Ce qui rend chacun de ces décès si déchirant, c’est qu’ils sont évitables. Nous avons les outils pour vacciner, dépister et traiter, pour empêcher les personnes d’évoluer vers la cirrhose ou le cancer du foie, qui les tueraient. Et ces outils ne sont pas seulement disponibles, ils sont aussi extrêmement abordables — un bon exemple étant le coût des traitements contre les hépatites B et C, rendus accessibles en grande partie grâce aux licences volontaires pour la santé publique, notamment via le MPP (Medicines Patent Pool).

En 2016, les pays du monde se sont fixé des objectifs pour éliminer les hépatites B et C en tant que menace pour la santé publique d’ici 2030. L’un de ces objectifs était de réduire la mortalité annuelle à moins de 500 000 décès.

En 2025, nous sommes clairement très loin du compte.

At a harm reduction clinic in Rwanda, people are encouraged to test for hepatitis.

Et il ne sera pas facile de redresser la trajectoire. L’environnement financier en matière de santé mondiale a radicalement changé cette année. Bien que l’hépatite ait reçu très peu d’aides publiques au développement, elle a néanmoins bénéficié, par exemple, des financements destinés au VIH, à travers les investissements dans les systèmes de santé, mais aussi parce que le ténofovir – un composant clé du traitement de première intention contre le VIH – est également très efficace pour contrôler l’hépatite B. Par ailleurs, l’OMS a accompli un travail essentiel en élaborant une stratégie mondiale, en créant des lignes directrices et en introduisant des récompenses pour mettre en valeur les efforts des pays en matière d’élimination. Ce travail a été réalisé par une toute petite équipe au sein de l’OMS, mais cette équipe risque d’être réduite, car le département tuberculose est en train de fusionner avec celui du VIH, de l’hépatite et des IST, ce qui entraînera une réduction significative du budget et donc du personnel. Il y a un vrai risque que l’hépatite disparaisse des priorités de l’OMS.

Le rôle de la communauté des personnes concernées pour éviter que cela ne se produise est crucial. Il faut s’assurer que la dynamique actuelle ne se perde pas, car des avancées importantes sont en cours. Le Pakistan et l’Indonésie ont récemment annoncé des plans pour lutter contre l’hépatite virale – deux pays clés où la charge de morbidité est élevée et dont les actions auront un impact déterminant sur la réussite ou non de l’élimination à l’échelle mondiale.

Par ailleurs, la Réunion de haut niveau de l’Assemblée générale des Nations Unies à New York, en septembre, consacrée aux maladies non transmissibles, représente une opportunité unique de présenter le dépistage et le traitement de l’hépatite virale comme des moyens essentiels de prévention du cancer. Le cancer du foie affiche le troisième taux de mortalité le plus élevé parmi tous les cancers, et dans trois cas sur quatre, il est causé par les hépatites B ou C. Le directeur du CIRC (Centre international de recherche sur le cancer), l’institut de l’OMS basé à Lyon, a déclaré : « Nous ne pourrons pas résoudre le problème du cancer uniquement par le traitement. » Cela est particulièrement vrai pour le cancer du foie, où les traitements n’ont pas connu les mêmes progrès que dans d’autres types de cancer. La prévention est donc primordiale.

Le dépistage et le traitement de l’hépatite virale peuvent ainsi contribuer à éliminer une maladie infectieuse tout en prévenant une maladie non transmissible comme le cancer. Deux bénéfices pour un seul investissement !