Cela fait maintenant dix-huit mois que j’ai pris mes fonctions au sein du Medicines Patent Pool (MPP) et, même s’il est indéniable que l’action du MPP est de plus en plus connue, je reste surpris par le nombre de personnes qui se méprennent sur ce que nous faisons. Pour certains, notre mission a un lien avec les accords de licence ; pour d’autres, nous faisons baisser le prix des médicaments, et pour d’autres encore nous permettons aux systèmes de santé publique d’économiser de l’argent. Tous se trompent. Les personnes sont au cœur de notre mission, et nous agissons pour que chacun ait accès à des médicaments et pour que le prix de ces médicaments soit abordable. C’est en négociant des accords de licence, en réduisant le prix des médicaments et en permettant des économies que nous parvenons à améliorer la santé et la vie des personnes.

Nous devons être certains que nous répondons de manière adaptée aux besoins et aux souhaits des personnes. C’est pourquoi nous travaillons à leurs côtés, de différentes manières. Tout d’abord, notre équipe, notre Conseil de fondation, notre Comité d’experts consultatifs et notre Groupe consultatif scientifique comptent tous parmi leurs membres des personnes issues de communautés touchées qui apportent leur éclairage pour contribuer à notre mission. En outre, nous participons régulièrement à des réunions communautaires consultatives, notamment de comités, grâce auxquels les personnes touchées peuvent faire entendre leur voix. Nous travaillons en symbiose avec les communautés, dont l’aide nous est essentielle. Avec la société civile, elles jouent un rôle indispensable pour plaider en faveur des accords de licences qui leur donneront accès aux traitements dont elles ont besoin, et pour faire en sorte que ces traitements soient disponibles une fois que leur prix est devenu abordable grâce à nos licences.

Jusque-là, nous avons évalué les retombées de notre action en nous basant sur le nombre de personnes qui ont accès aux médicaments et sur les économies réalisées grâce aux baisses de prix entraînées par les licences que nous avons négociées. Aujourd’hui, nous souhaitons nous intéresser à un nouvel indicateur, en étudiant la manière dont le prix abordable des médicaments change la vie des personnes. Quantifier un tel changement n’est pas chose aisée, et nous avons sollicité des experts pour y parvenir. Nous commencerons notre étude avec le daclatasvir (utilisé avec le sofosbuvir) et le dolutégravir, avant de l’étendre aux autres médicaments pour lesquels nous avons obtenu une licence. La contribution des personnes vivant avec le VIH ou l’hépatite est bien sûr indispensable pour comprendre ce que signifie pouvoir passer de l’éfavirenz au dolutégravir ou guérir de l’hépatite C.

Notre objectif est de nous rapprocher encore des personnes, en allant sur le terrain pour passer plus de temps à leurs côtés. Nous avons donc organisé notre premier déplacement en Inde, où nous avons pu rencontrer de nombreuses parties prenantes (gouvernement, médecins, ONG, universitaires) et, surtout, des personnes qui ont bénéficié directement de nos licences ou qui espèrent en bénéficier très prochainement. Vous pouvez découvrir ici un avant-goût du film réalisé sur ce voyage, qui sera disponible sur notre site pour la nouvelle année. Nous prévoyons de repartir l’an prochain : dans un ou deux pays de l’Europe de l’Est ou de l’Asie centrale, puis en Afrique du Sud. Ces visites sur le terrain nous permettent de mieux comprendre les retombées concrètes de notre mission sur la vie des personnes.

La portée de notre mission s’élargit, pour englober la lutte contre d’autres maladies. Notre lien avec les communautés touchées va donc revêtir une importance primordiale, en particulier lorsqu’il n’existe aucun financement externe et lorsque les pays doivent puiser dans leurs propres ressources pour financer les traitements. Notre modèle ne peut exister sans demande. Même si nous parvenons à obtenir le traitement le moins cher du monde, les fabricants de génériques avec qui nous collaborons cesseront de le produire s’il reste stocké dans leurs entrepôts parce que les gouvernements ne l’achètent pas et les patients ne peuvent pas se l’offrir (par quelque moyen que ce soit : revenus personnels, assurance maladie, etc.). Ces sont les communautés de patients qui informent le gouvernement de la disponibilité de versions génériques abordables de médicaments essentiels brevetés ; elles agissent également pour que ces médicaments soient inclus dans les programmes nationaux de santé.

Cette réflexion nous amène à la couverture sanitaire universelle, sujet qui a dominé 2019 notamment en raison de la Réunion de haut niveau des Nations Unies à New York au mois de septembre. Les pays souhaitent que le nombre de bénéficiaires, de traitements et de services pris en charge par la couverture sanitaire universelle augmente, tout en réduisant la contribution financière des bénéficiaires. Il apparaît donc clairement que, dans les pays à revenu faible et intermédiaire où les médicaments représentent en moyenne plus du quart des dépenses de santé (ce chiffre pouvant atteindre 67 %), les médicaments doivent obligatoirement être abordables[1]. Dans le cas contraire, l’objectif mondial de la couverture sanitaire universelle ne pourra pas être atteint.

Cette nécessité, les pays à revenu faible et intermédiaire l’ont comprise et les pays les plus avancés également. En 2019, les ministres de la Santé du G7 et du G20 ont clairement fait part de leur soutien à l’élargissement du mandat du Medicines Patent Pool aux médicaments essentiels. Nous espérons que cela encouragera les laboratoires détenteurs de princeps à travailler avec nous en 2020 pour mettre leurs traitements innovants à la disposition des millions de personnes dans les pays à revenu faible et intermédiaires qui ne peuvent aujourd’hui y avoir accès de manière abordable. En 2020, nous fêterons nos dix ans ; nous voulons montrer que notre modèle, qui a fait ses preuves dans la lutte contre le VIH et l’hépatite C, peut fonctionner tout aussi bien dans d’autres domaines, comme le traitement du cancer, des maladies cardiovasculaires ou du diabète.

Je vous souhaite à tous, en particulier à nos partenaires et aux personnes que nous aidons et qui nous apportent tant, de passer de très belles fêtes de fin d’année. Je voudrais aussi remercier tout spécialement Unitaid, la Direction du développement et de la coopération suisse et la fondation Wellcome Trust pour leur soutien financier.

[1] Medicines in Health Systems, OMS