Leadership et Change: An Interview With Medicines Patent Pool Board Chair Marie-Paule Kieny

08/02/2018, CATHERINE SAEZ, INTELLECTUAL PROPERTY WATCH

À la suite de l’annonce inattendue, en décembre, de la démission de son directeur exécutif, le Medicines Patent Pool (MPP) se cherche actuellement un nouveau directeur. Marie-Paule Kieny, ancienne directrice générale adjointe de l’Organisation mondiale de la Santé et aujourd’hui présidente du Conseil de fondation du MPP, supervise l’activité du MPP pendant ce processus de recherche. Récemment, elle a accepté de s’entretenir avec Intellectual Property Watch pour expliquer que le MPP poursuit ses activités habituelles et entend bien publier comme prévu les résultats de son étude de faisabilité concernant l’élargissement potentiel de son mandat à d’autres médicaments essentiels encore protégés par des brevets.

Intellectual Property Watch (IPW) : Le directeur du Medicines Patent Pool a récemment quitté ses fonctions, à un moment où l’organisation envisage d’élargir son champ d’action. Pouvez-vous nous donner des précisions sur la situation actuelle ?

Marie-Paule Kieny (MPK): Bien sûr, je vais vous expliquer ce qui se passe. Je suis présidente du Conseil de fondation du MPP depuis septembre 2017, fonction qui était avant moi assurée par Sigrun Møgedal. Le Conseil de fondation du MPP a approuvé une étude de faisabilité visant à évaluer l’intérêt qu’il y aurait pour le MPP à élargir son modèle de licences volontaires, qui permet de stimuler la concurrence et de faire baisser le prix des médicaments. En effet, nous utilisons les licences comme un moyen d’améliorer l’accès grâce à la mise en concurrence de plusieurs fabricants, ce qui permet de faire baisser les prix.


Le Conseil de fondation a donc approuvé cette étude de faisabilité pour voir s’il y aurait un intérêt pour la santé publique à élargir le modèle du MPP à d’autres maladies que celles qui sont actuellement inscrites dans son mandat, à savoir le VIH, la tuberculose et l’hépatite C.


Cette étude, qui bénéficie du soutien financier du gouvernement suisse, est toujours en cours. Nous aurons bientôt les résultats des entretiens menés avec différents partenaires, et nous saurons si nous devons élargir notre mandat et dans quelle mesure.


Nous prévoyons de lancer la nouvelle stratégie et de présenter les résultats de l’étude de faisabilité à l’occasion d’un événement organisé par le MPP qui se tiendra en parallèle de l’Assemblée mondiale de la Santé (21-26 mai).

L’élargissement du mandat portera sur des médicaments de la dernière (Liste modèle des médicaments essentiels de l’OMS  [pdf], qui date de mars 2017. Comme vous le savez, 90 % des médicaments qui figurent sur cette liste ne sont plus protégés par des brevets ; il s’agit déjà de produits génériques, qui par conséquent ne nous intéressent pas. Nous nous intéressons aux derniers ajouts, qui sont brevetés, et dont les brevets seront encore applicables pendant quelques années. Nous chercherons à savoir si la concurrence permise par l’octroi de licences au MPP par les détenteurs des brevets et la délivrance de sous-licences par le MPP à des fabricants de génériques pourraient avoir un impact sur l’accès.

Nous négocions des licences avec les laboratoires propriétaires, Gilead ou Merck, par exemple, afin de déterminer les conditions générales de celles-ci. Certains fabricants exigent de percevoir des redevances, alors que d’autres non. La portée géographique des licences est aussi variable. Actuellement, parmi nos licences, celle qui a la plus grande portée géographique couvre 130 pays. Certaines de nos licences concernent les pays à revenu intermédiaire, mais ce n’est pas le cas de toutes.

Lorsque nous obtenons une licence, nous lançons un appel à manifestation d’intérêt à l’intention des fabricants de génériques, puis nous évaluons la qualité de leurs propositions. Si ces propositions respectent nos critères de qualité, nous leur octroyons une sous-licence avec laquelle ils peuvent commencer la mise au point de produits génériques.

IPW: Qui évalue les fabricants de génériques et la qualité des génériques ?

MPK: À l’origine, l’évaluation était faite en interne par notre groupe chargé du développement de l’activité, mais aujourd’hui nous avons un comité d’examen. Nous étudions aussi la possibilité de faire réaliser le premier examen par un comité d’experts indépendant, afin que le processus soit complètement transparent et objectif. Ces experts formuleraient des recommandations à l’intention du Conseil de fondation.

Tous les fabricants de génériques qui participent à l’appel à manifestation d’intérêt sont préqualifiés par l’OMS. Cette préqualification est exigée par les grands bailleurs de fonds qui soutiennent la lutte contre les maladies dans les pays visés par le MPP. Dans le cas de la lutte contre le VIH, par exemple, ces bailleurs de fonds sont le Fonds mondial (de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme) et Unitaid.

En ce qui concerne les autres médicaments, nous pourrions travailler sur la liste des médicaments essentiels contre le cancer, l’hypertension ou le diabète. Pour ces maladies, il n’existe pas de centrales d’achat, et les médicaments doivent être achetés au niveau national. Par conséquent, nous devons déterminer s’il est nécessaire de revoir les exigences en matière de qualité et si la préqualification reste une condition pour la production locale. Sur ces points, nous n’avons pas encore pris de décision.

Nous étudions les différentes possibilités et l’impact potentiel sur la santé publique que pourrait avoir l’octroi de licences autorisant la fabrication de versions génériques de médicaments essentiels encore brevetés.

Les discussions concernant l’élargissement potentiel de la liste de médicaments essentiels ont été entamées sous la direction de Greg Perry (qui a quitté ses fonctions fin 2017), mais le processus se poursuit et nous devrions être en mesure d’obtenir les résultats et de lancer la stratégie autour du mois de mai de cette année, pour l’Assemblée mondiale de la Santé.

IPW: Avez-vous une idée du nombre de médicaments qui seront concernés par l’élargissement ?

MPK: Nous commencerons par une poignée de médicaments. Le prochain examen de la liste des médicaments essentiels aura lieu bientôt, et nous aimerions travailler avec le comité chargé de cet examen en amont, avant qu’une décision soit prise, pour voir si un travail préliminaire peut être fait.

Pour le moment, nous interrogeons de nombreuses personnes dans le cadre de l’étude de faisabilité. Nous nous entretenons avec des fabricants de médicaments princeps et de génériques. Certains médicaments sont particuliers. Jusqu’à présent, le MPP travaillait sur des médicaments chimiques, mais la liste des médicaments essentiels comprend également des vaccins et des biosimilaires, qui sont de nature différente.

Pour commencer, nous pourrions nous concentrer sur les médicaments qui sont des entités moléculaires définies.

IPW: Selon vous, existe-t-il beaucoup de fabricants de génériques capables de produire des biosimilaires dans les pays en développement ?

MPK: Non, il n’y a pas beaucoup d’entreprises dans les pays en développement qui soient capables de produire des biosimilaires, mais les biosimilaires peuvent aussi intéresser les fabricants de vaccins, parce qu’ils conçoivent des produits biologiques. Nous devons voir ce qui peut être fait.

Aussi, si nous élargissons notre mandat et que nous obtenons l’accord du Conseil de fondation, il est probable que nous incluions d’abord les médicaments essentiels qui sont des entités moléculaires définies et que les entreprises avec lesquelles nous travaillons déjà pour le VIH, la tuberculose et l’hépatite C pourraient produire.

IPW: Quels sont les critères financiers de base que vous appliquez pour la sélection des médicaments ?

MPK: Nous n’avons pas pris de décision sur ce point, car le Conseil attend l’étude de faisabilité, mais j’imagine que la priorité serait accordée aux médicaments dont le prix est si élevé que la concurrence de versions génériques présenterait un intérêt certain.

IPW: Il semblerait que les biosimilaires soient si difficiles à fabriquer que des versions génériques ne permettraient pas de faire baisser les prix de manière significative.

MPK: Ce sera une question de réglementation. Si l’agence de réglementation exige que tout le développement clinique soit refait, le coût sera élevé. Mais comme je l’ai dit, il est probable que nous commencions par les molécules chimiques et pas par les biosimilaires.

IPW: Y aura-t-il une introduction progressive des nouveaux médicaments ?

MPK: C’est possible, car le MPP doit trouver des financements supplémentaires pour ces nouveaux médicaments. En effet, pour l’instant, mise à part la Suisse qui finance l’étude de faisabilité, l’ensemble des ressources financières du MPP provient d’Unitaid. Or le mandat d’Unitaid ne couvre que le VIH, la tuberculose et l’hépatite C, donc nous ne pouvons pas utiliser ses financements pour travailler sur le diabète, par exemple.

Il est donc très important que nous obtenions l’appui du Conseil exécutif de l’OMS, qui a mentionné plusieurs fois l’élargissement potentiel du mandat du MPP lors de ses réunions. Concernant les pays qui ont exprimé un soutien politique, j’espère que cela se traduira aussi par un soutien financier.

Le MPP a un coût relativement faible au vu de l’impact considérable qu’il produit, car il s’agit principalement de rémunérer les ressources humaines qui assurent la négociation des licences.

IPW: Adopterez-vous la même approche que celle que le MPP emploie aujourd’hui pour les nouveaux médicaments en cours de négociation avec les titulaires de brevets ?

MPK: Oui, c’est le mode de fonctionnement du MPP. Les médicaments susceptibles d’être sélectionnés obéissent à des règles différentes pour ce qui est de la demande et de la commercialisation. Pour le VIH, vous avez le Fonds mondial et Unitaid, qui sont de gros acheteurs. Pour ces médicaments-là, vous pouvez vous permettre d’avoir un grand nombre de producteurs et donc un impact important sur les prix. En ce qui concerne certains médicaments anti-VIH, les prix ont même trop baissé.

Sur la liste des médicaments essentiels, il y aura des acheteurs gouvernementaux uniquement. Les marchés sont différents, et nous devons déterminer si cela aura un impact sur le nombre de bénéficiaires de sous-licences pour chacun des médicaments concernés.

Nous devons d’abord comprendre comment fonctionne un marché, une fois que les médicaments sont disponibles : qui les achète ? Qui les finance ? En ce qui concerne le VIH, la discussion concernant la production locale n’était pas aussi importante, parce que l’acheteur était soit le Fonds mondial soit Unitaid, qui recherchaient surtout le prix le plus bas.

En revanche, concernant les médicaments contre le cancer ou le diabète de la liste des médicaments essentiels, la production locale peut faire une grande différence pour les pays qui les achètent. C’est un environnement différent, et nous devons voir ce qui peut être ajusté ou adapté dans nos méthodes de travail actuelles.

Aussi, le Conseil de fondation a mis en place une nouvelle procédure. Les sièges du Conseil seront pourvus au moyen d’un appel à candidatures ouvert.

IPW: Que va-t-il se passer entre aujourd’hui et l’Assemblée mondiale de la Santé ?

MPK: Comme vous le savez, Greg Perry est parti. Le Conseil était satisfait de son travail, mais il a eu une opportunité à la FIIM. Cela faisait cinq ans qu’il était au MPP. Comme vous le savez, on ne reste plus éternellement à un même poste, et c’était le bon moment pour lui. Son départ s’est fait dans de bonnes conditions, et nous espérons que, dans le cadre de ses nouvelles fonctions à la FIIM, il se souviendra du MPP et facilitera les discussions avec certaines multinationales.

En attendant qu’il soit remplacé, il est impossible pour moi d’exercer la fonction de directrice exécutive par intérim. En effet, je suis employée à plein temps à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et je ne peux cumuler deux emplois. Je supervise donc les activités du secrétariat pendant la transition, au nom du Conseil de fondation. C’est une fonction bénévole.

Il est dans mon intérêt, et dans l’intérêt de tous, que cette période ne dure pas trop longtemps. L’annonce de vacance de poste a été publiée avant Noël sur notre site web. Nous avons fait appel à un chasseur de têtes qui sera chargé du recrutement. Nous aimerions signer le contrat du nouveau directeur exécutif avant la tenue de l’Assemblée mondiale de la Santé, parce que nous voulons qu’il ou elle puisse participer à l’AMS et rencontrer tout le monde. En attendant, nous continuons de travailler comme d’habitude.

IPW: La question des pays à revenu intermédiaire qui sont fortement touchés par le VIH, la tuberculose et l’hépatite C, mais ne sont pas couverts par les licences du MPP est-elle à l’ordre du jour ?

MPK: Oui, c’est une discussion qui est en cours. Nous avons eu le cas de licences dont la couverture géographique était restreinte à l’origine, puis a été élargie par la suite. Ce que nous essayons de savoir – et cela fait partie de la stratégie – c’est si le MPP peut proposer une solution aux multinationales pour les pays à revenu intermédiaire qui ne sont pas couverts, tels que l’Indonésie, la Thaïlande et la Malaisie, afin de voir s’il serait possible, par exemple, d’appliquer des redevances graduelles.

Bien sûr, dans un monde idéal, il faudrait que les médicaments aient le même coût faible partout. J’en serais la plus heureuse, mais les médicaments ont des prix très différents selon les pays. Par exemple, ils sont environ trois fois plus chers en Suisse qu’en France. C’est cela la réalité.

On peut s’attendre à ce que le prix des médicaments soit plus élevé en Thaïlande et en Malaisie qu’en Haïti ou au Malawi. Cependant, nous pensons que le MPP peut apporter des solutions. Cela fait partie du travail sur la nouvelle stratégie, et nous réfléchissons à la manière d’en faire bénéficier le plus de personnes possible. Le MPP doit rester et reste focalisé sur la santé publique et l’accès aux médicaments. Certes, nous négocions des accords, mais notre objectif premier est d’améliorer l’accès.

IPW: Merci.

William New a contribué à ce compte-rendu.