©2016 Brendan Hoffman, Global Fund Advocates Network

Entretien avec Anton Basenko, coordinateur des projets de réduction des risques au sein de Alliance for Public Health Ukraine, membre du Conseil d’administration du réseau INPUD (International Network of People who Use Drugs) représentant la région Europe orientale et Asie centrale, et membre de la délégation des communautés auprès du Conseil d’administration du Fonds mondial.


L’histoire d’Anton

« Un an avant de commencer un traitement de substitution aux opiacés, j’ai rejoint un programme de réduction des risques où j’ai rencontré des membres d’organisations non gouvernementales qui nous fournissaient des seringues propres. Ils ont été pour nous source d’inspiration et de positivité. Ensuite, j’ai commencé à partager des informations avec mes pairs, des consommateurs de drogue de la rue.

J’ai donné mon premier discours public en 2005, parce que j’étais l’un des premiers à avoir pris part à un traitement de substitution aux opiacés en Ukraine, dès 2004. Six mois après le début du programme, j’ai été invité à la première session publique du ministère de la Santé, qui allait décider de le rendre permanent ou non. C’était la première fois que je parlais de mon histoire et de mon expérience de consommateur de drogue dans le cadre de ce traitement de substitution aux opiacés. C’est comme ça que mon activité militante a commencé. »


Les programmes de réduction des risques sont des mécanismes essentiels de la lutte contre le VIH, l’hépatite et la tuberculose, et permettent de réduire le nombre de nouvelles infections[1]. Pour moi, ils constituent le point de départ d’une nouvelle vie, car ils précèdent de nombreux autres programmes : 99 pour cent des consommateurs de drogue séropositifs et sous traitement antirétroviral ont participé à un programme de réduction des risques[2]. Ils veillent à ce que toi, en tant que consommateur de drogue, tu sois mis en relation avec le personnel médical et les services sociaux.

Il n’est pas facile d’entrer en contact avec les consommateurs de drogue. Avant, il y avait des endroits précis connus de tous, où l’on savait que l’on pouvait trouver des seringues et parler aux bonnes personnes. Aujourd’hui, les choses se font beaucoup par relations, de manière anonyme ; on peut acheter de la drogue sur Internet, et le nombre de nouveaux produits de synthèse et de jeunes consommateurs augmente, même si les drogues injectables restent très populaires. Même lorsqu’aucune seringue n’est utilisée, le risque d’infection par le VIH ou l’hépatite C reste élevé en raison de l’altération du comportement que ces substances provoquent. Cette évolution soulève des questions au sein de la communauté des prestataires de soins.

Ces 15 dernières années ont eu lieu des changements révolutionnaires. Les programmes d’échange d’aiguilles et de seringues en sont un exemple frappant : lorsque j’ai commencé à travailler dans ce domaine, des milliers de personnes recevaient des aiguilles et des seringues propres, et des centaines d’entre elles participaient à un traitement de substitution aux opiacés (TSO). Aujourd’hui, l’Ukraine possède le programme de réduction des risques et de traitement de substitution aux opiacés le plus important de la région Europe orientale et Asie centrale : environ 220 000 personnes participent à un programme de réduction des risques et près de 11 000 personnes suivent un TSO ; on compte 200 centres de traitement de substitution et il existe des solutions qui peuvent être emportées à domicile, afin de ne pas avoir à se rendre dans un centre tous les jours.

La situation en matière d’accès aux antirétroviraux et aux médicaments antituberculeux et anti-hépatite C pourrait être quelque peu différente, mais ces traitements sont disponibles dans notre pays et c’est formidable, car ce n’est pas le cas partout. Des progrès ont été faits et nous avons constaté des améliorations : ainsi, il est désormais plus facile d’avoir accès aux médicaments les plus récents. Comme je l’explique ci-après, le Medicines Patent Pool a joué un rôle important en garantissant que les nouveaux médicaments soient disponibles plus vite et pour un coût abordable en Ukraine et dans d’autres pays de la région Europe orientale et Asie centrale. C’est essentiel, car les pays font face à la transition vers le financement national

Pourtant, si l’on veut améliorer la vie des personnes et leur offrir de meilleures opportunités, plusieurs questions doivent être réglées dans la région, comme la mobilisation de fonds pour la santé publique, le respect des droits humains des populations-clés et l’accès au traitement.

Le caractère abordable des médicaments peut devenir un problème dans le contexte de la transition des pays vers un financement national. La question du financement est essentielle pour comprendre la situation actuelle. En Ukraine, les fonds attribués par des donateurs internationaux, tels que le Fonds mondial, aux programmes de réduction des risques ont permis de remporter des victoires. Si cette nouvelle subvention du Fonds mondial prévoit la transition planifiée vers un financement national à partir de 2018, l’état de préparation des programmes nationaux de lutte contre le VIH, la tuberculose, l’hépatite B et C et le traitement de substitution reste inconnu. Le défi le plus important qui nous attend désormais est de conserver les acquis. C’est pourquoi cette année est cruciale pour notre communauté, car la période de transition est instable et risquée. Ce qui nous inquiète, c’est la possibilité que seul l’achat de médicaments soit subventionné, au détriment de la prévention et du soutien sociopsychologique. Le programme national 2019-2023 de lutte contre le VIH/sida en Ukraine va être adopté en 2018. La feuille de route englobe la politique de lutte contre le VIH et les engagements financiers. Nous œuvrons pour que ce programme prévoie le respect des droits humains, des droits communautaires et de l’égalité des sexes, ainsi que l’amélioration de l’accès aux TSO et aux traitements contre l’hépatite C.

Le gouvernement ukrainien a prouvé qu’il était prêt à entendre nos voix et à faire participer les consommateurs aux processus de décision. L’an dernier, nous avons vécu une révolution : pour la première fois en 12 ans d’existence, il a été permis à des représentants de populations-clés (notamment les consommateurs de drogues, les professionnels du sexe et les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes) de siéger au Conseil national de lutte contre la tuberculose et le VIH/sida[3].

La stigmatisation et la discrimination, toujours très présentes partout en Ukraine et dans la région Europe orientale et Asie centrale, constituent un autre défi à relever. Les populations-clés, comme les consommateurs de drogues ou les professionnels du sexe, sont considérées comme des criminels par la loi. Les victimes de cette discrimination sont ainsi marginalisées et poussées à se cacher, sans pouvoir avoir accès aux soins et aux traitements. Je dois tout de même préciser que, au fil des années, nous avons constaté une évolution des comportements du personnel médical et des autorités d’application de la loi ; il s’agit d’un progrès important. 

Outre les difficultés rencontrées par les populations-clés pour accéder aux traitements, l’Ukraine est toujours en situation de conflit, et cela a de profondes répercussions sur la vie quotidienne[4]. Environ 1,7 million de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays, dont certaines ont besoin de soins médicaux. Il leur est aujourd’hui extrêmement difficile de poursuivre leur traitement ou d’avoir accès à des médicaments essentiels à leur survie.

Il n’est pas facile de garantir la prise en charge des personnes touchées par l’hépatite C ou la tuberculose. Grâce aux nombreuses avancées de ces dernières années en matière d’information et de sensibilisation concernant le VIH et le sida, ainsi qu’à un financement adéquat et un engagement des différents acteurs, le grand public connaît la maladie et sait que des traitements existent. L’hépatite C et la tuberculose ont, au contraire, souffert d’un manque de financement et d’intérêt, ce qui se traduit aujourd’hui par une connaissance moins poussée de ces maladies par rapport au VIH. Éradiquer ces maladies ne sera possible qu’au travers d’efforts considérables déployés par tous les acteurs, du gouvernement aux ONG, en passant par les personnes touchées.

Il est de la plus haute importance que les patients puissent avoir accès à des médicaments génériques de qualité garantie. En particulier pendant les périodes de transition, il est crucial de veiller à ce que les gouvernements aient connaissance des différentes possibilités existantes pour se procurer des médicaments recommandés par l’OMS. À cette fin, les accords de licence axés sur la santé publique négociés par le Medicines Patent Pool avec des compagnies pharmaceutiques peuvent être utiles : beaucoup de pays de la région Europe orientale et Asie centrale devraient être aujourd’hui en mesure d’obtenir des versions génériques moins onéreuses des médicaments recommandés par l’OMS tels que le dolutégravir (DTG) et sa combinaison avec du ténofovir et de la lamivudine (TLD)[5], le ténofovir-alafémanide (TAF) pour le VIH, et peut-être le ravidasvir pour l’hépatite C, s’il est approuvé.[6]

La société civile et les communautés peuvent apporter leur aide en portant à la connaissance du gouvernement ces différentes possibilités, et en plaidant en faveur d’un approvisionnement dans les temps, de l’actualisation des lignes directrices relatives au dépistage et au traitement, ainsi que de programmes de prévention, de prise en charge et de traitement.

Le travail qui nous attend est gigantesque. Nous devons continuer à agir auprès des communautés en Ukraine pour qu’elles réalisent que les trois prochaines années vont être décisives. Nous avons besoin d’une action publique, nous devons travailler sur nos programmes de plaidoyer et faire avancer les choses.

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Let’s treat hepatitis C regroupe une série de courtes vidéos publiées sur le site Internet de Alliance for Public Health (en anglais) : http://aph.org.ua/en/resources/useful-information-for-partner-ngos

[1] D’après l’ONUSIDA, le taux de prévalence du VIH est de 21,9 pour cent chez les consommateurs de drogue en Ukraine, et 39 pour cent des nouvelles infections par le VIH dans la région Europe orientale et Asie centrale touchent les consommateurs de drogue.

[2] Un chiffre semblable est constaté pour l’hépatite C et la tuberculose.

[3] En Ukraine, le Conseil national de lutte contre la tuberculose et le VIH/sida est l’Instance de coordination nationale, placée sous l’autorité du Conseil des ministres et assurant la coordination de la lutte contre les maladies telles que le VIH et la tuberculose.

[4] « War in Ukraine has escalated HIV spread in the country » (janvier 2018)

[5] Tous deux étant désormais des traitements de première intention recommandés par l’OMS dans le traitement du VIH.

[6] Le ravidasvir peut être utilisé en remplacement du daclatasvir et associé avec d’autres antiviraux d’action directe comme le sofosbuvir.